De l'enseignement des langues à la gestalt, il n'y a qu'un pas.
Et si enseigner et accompagner n’étaient que deux visages d’une même présence au monde ? Entre salle de classe et cabinet de thérapie, ce texte tisse un chemin de continuité, là où l’on pourrait croire à une rupture. Il raconte une transition douce, presque évidente, de l’enseignement des langues à la Gestalt-thérapie — portée par le même fil : celui du lien, du sens, de l’humain.
RÉFLEXIONS
De l’enseignement des langues à la Gestalt, il n’y a qu’un pas.
Un pas qui, de loin, peut sembler périlleux, incertain — et qui pourtant s’offre comme une évidence tranquille, dès lors qu’on s’en approche. Quand je regarde mon propre chemin, il m’apparaît presque évident. Il n’y a pas de rupture brutale, mais plutôt un glissement naturel, une continuité dans la manière d’être au monde, aux autres, à soi.
J’enseigne l’anglais depuis presque vingt ans. J’ai écouté, accompagné, soutenu, parfois davantage que je n’ai expliqué la grammaire, rectifié des erreurs de prononciation ou déroulé des leçons bien ficelées. Enseigner une langue, ce n’est pas seulement transmettre un savoir : c’est aussi — et avant tout — ouvrir un espace de relation. Un lieu où l’on apprend à dire, à se dire, à oser se montrer, maladroit parfois, mais vivant.
L’enseignement et la Gestalt-thérapie. On pourrait croire ces deux univers éloignés. L’un s’adresse à l’intellect, à la transmission de compétences ; l’autre à l’expérience, à l’exploration du ressenti. Mais au cœur de chacun, une même passion circule : celle du lien, de la relation, du sens.
Être prof, c’est être là. Entièrement. Avec son savoir, bien sûr, mais aussi avec sa présence, son écoute, sa disponibilité. C’est accueillir ce qui se joue dans la salle de classe, parfois bien au-delà du cadre strict du programme. C’est remarquer le silence d’un·e élève, l’hésitation d’un regard, la joie d’une réussite, le découragement d’un échec, et cette attente — diffuse, parfois imperceptible — qui dit le besoin d’être vu, entendu, rejoint.
Enseigner une langue, c’est créer les conditions d’une prise de parole. C’est inviter à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne, à composer avec des mots qui viennent d’ailleurs. C’est s’exposer, oser, se risquer. Et c’est inviter les élèves à faire de même : à franchir ce seuil d’inconfort, à tenter, à se révéler dans l’élan. C’est voir un·e élève s’autoriser, s’ouvrir, se sentir capable. C’est donner naissance à une dynamique de transformation discrète, mais profonde.
Et puis, au fil des années, les frontières se sont faites plus poreuses. Entre transmettre et accompagner, le glissement s’est opéré dans les regards fuyants, les silences lourds, les confidences murmurées à la fin d’un cours. J’ai compris que derrière un exercice non rendu ou une attitude fermée se tapit parfois autre chose qu’un simple manque de travail.
Être enseignante, c’est déjà, accueillir, soutenir, contenir. Tenir. Offrir un cadre, une écoute, une constance. Être là, même sans tout comprendre. Ces moments ont semé en moi un désir : celui d’aller plus loin, autrement.
La Gestalt est arrivée comme une reconnaissance. Une manière d’être que je portais déjà. Une approche qui donne toute sa place au lien, à l’instant présent, à la co-création de l’espace relationnel. Un art d’accueillir sans juger, sans interpréter, dans une présence simple et pleine.
Je me suis retrouvée dans cette posture, cousine de celle que j’habitais déjà en classe. Une posture d’engagement, d’authenticité, de responsabilité. Un art d’ajuster, d’être touchée, d’oser répondre.
Aujourd’hui, mon expérience d’enseignante m’accompagne dans mon travail de thérapeute. L’attention aux mots, aux silences, à ce qui se dit entre les lignes. Le respect du rythme, le soin du cadre, la délicatesse du lien.
Et la Gestalt, à son tour, éclaire d’un jour nouveau ces années passées en classe. Elle me donne d’autres clés pour comprendre, ressentir, accompagner. Elle m’invite à relire mon parcours avec tendresse, à y reconnaître les premiers frémissements d’un engagement plus vaste : celui d’une présence vivante à l’autre.
Je continue d’enseigner. Et je chemine comme thérapeute. Ces deux pratiques ne s’excluent pas. Elles dialoguent, s’inspirent, s’enrichissent. Je les habite avec une même attention, une même exigence de justesse.
"Il n’y a qu’un pas", oui. Mais ce pas est précieux. Il est celui d’un alignement. D’une cohérence intime. Il est ce qui relie mon goût des mots, du lien et du vivant à ce qui m’anime, aujourd’hui : accompagner, à ma façon, des cheminements singuliers.

